mardi 15 septembre 2015

Célibat des prêtres : la discipline de l’Eglise doit-elle changer ?

Jean Mercier © Ainsi soient-ils
Le fil rouge d’Ainsi soient-ils est la sexualité des prêtres. Selon les scénaristes, les prêtres doivent pouvoir se marier – ils seraient ainsi moins tentés par certaines dérives comme la pédophilie ! (dont il est question en saison 3). Nous avons interrogé Jean Mercier, journaliste à La Vie et auteur d’un livre de référence paru sur le sujet.
Ainsi soient-ils.com : Les prêtres demandent-ils à pouvoir se marier ?
Jean Mercier : Non, pas que je sache. C’est une revendication qui a existé lors d’un créneau historique assez limité, dans la foulée de la révolution sexuelle de 1968, lorsque des prêtres ont officiellement demandé une évolution de la règle du célibat. Par contre, il y a effectivement un débat sur l’ordination d’hommes mariés, mais c’est une autre problématique.
A quand remonte le célibat des clercs ?
C’est une affaire longue et complexe. Il faut distinguer entre célibat et continence sexuelle. L’Eglise a ordonné des hommes mariés pendant le premier millénaire, mais on oublie souvent qu’elle leur imposait la continence avec leur épouse, à partir du diaconat, et donc aussi pour la prêtrise et l’épiscopat. On sait cela à partir de sources historiques dont la plus ancienne remonte au début du quatrième siècle, et il ne semble pas que cette contrainte de la continence ait suscité des conflits théologiques, contrairement aux déchirements qu’on avait à l’époque sur la nature du Christ, par exemple. La raison était qu’on considérait incompatible le sacerdoce et l’état d’activité sexuelle, et non pas le mariage. Vers la fin du VIIe siècle, l’Orient chrétien a modifié cette règle en permettant aux diacres et prêtres de faire l’amour avec leur femme, et en imposant que l’épiscopat soit réservé aux célibataires. L’Occident a gardé sa règle : diacres, prêtres et évêques marié, mais sans sexe ! Au XIe siècle, cette pratique était devenue intenable, et l’Eglise se retrouvait avec des clercs mariés ordonnés sous la pression des puissances féodales, pour des intérêts très mondains. Le pape Grégoire VII a voulu purifier l’Eglise en imposant le célibat obligatoire, et en a fini avec l’ordination de clercs mariés. Dans l’Eglise catholique latine, on peut donc affirmer que tous les prêtres ont été astreints à la continence, pendant 2000 ans. Même s’ils ont pu être mariés, mais pas tous !, jusqu’à la réforme grégorienne du XIe siècle.
Pourtant, aujourd’hui, certains prêtres catholiques sont mariés ?
Tout a changé avec Pie XII. Il a permis l’ordination d’un ancien pasteur luthérien comme prêtre catholique, mais apparemment sans lui imposer la continence. Puis le Concile Vatican II, en 1965, a reconnu l’existence des prêtres mariés dans les Eglises catholiques orientales, et a rétabli le diaconat permanent en permettant tacitement aux diacres de continuer de faire l’amour avec leur femme. Cette transgression là est passée totalement inaperçue : car en tant que clercs, les diacres mariés de jadis étaient astreints à la continence. On peut même se demander si Paul VI s’est vraiment rendu compte de ce qu’il faisait… Plus tard, Jean Paul II et Joseph Ratzinger ont ordonné prêtres des centaines d’anciens ministres anglicans ou protestants qui étaient mariés sans leur interdire nommément l’activité sexuelle, sur un mode dérogatoire. On est donc désormais dans une situation un peu hybride.
Quels seraient les avantages et les inconvénients d’avoir des prêtres mariés ?
L’avantage, si l’on pouvait ordonner des hommes mariés, serait d’élargir la base du recrutement des futurs prêtres, et donc d’inclure des hommes qui seraient intéressés par le job, mais que le célibat rebute. Et donc, par conséquence de réduire la pénurie des prêtres. C’est apparemment une évidence, mais elle mérite d’être mise en question. En effet, on peut considérer que le célibat est l’arbre qui cache la forêt. De nombreux prêtres disent que le plus dur pour eux n’est pas le célibat, mais l’obéissance à leur évêque, et les contraintes du métier (stress, baisse de la foi, Dieu considéré comme la variable d’ajustement dans notre société de consommation). Le fait que le métier de prêtre soit socialement très dévalorisé joue aussi dans le manque de vocations.
Il n’est donc pas sûr que l’ouverture de la vocation aux hommes mariés créerait un appel d’air… Elle risquerait surtout de déstabiliser la figure du prêtre pour les catholiques, car il serait très difficile de former deux types de prêtres au séminaire (ayant choisi de rester célibataires + hommes mariés ou voulant se marier avant leur ordination), selon deux “spiritualités” très différentes, de sorte que les séminaires devraient s’adapter à deux publics distincts.
Ensuite, il faudrait gérer les contraintes financières liées aux prêtres mariés, pour l’entretien de leurs familles. J’ai interrogés de nombreux prêtres dans ce cas. Il disent que le métier de leur épouse est le facteur clé et limite leur mobilité en cas de changement de poste. Sans oublier les divorces et séparations qu’il faudrait gérer, comme on le voit chez les pasteurs protestants. Bref, il y a autant, sinon plus, d’inconvénients que d’avantages. Quant à dire qu’un prêtre marié comprendrait mieux les gens mariés, l’argument est faible : il pourrait “plaquer” son expérience conjugale et familiale sur les gens qui se confient à lui. Célibat des prêtres © Ainsi soient-ils
Dans Ainsi soient-ils, deux des cinq principaux séminaristes sont des personnes homosexuelles (dans la saison 1 et 2, par la suite l’un des deux devient prêtre). Il leur est rappelé qu’ils ne peuvent pas devenir prêtres. Que pensez-vous de cette interdiction, n’est-ce pas une discrimination ?
C’est une question complexe. Je crois que de nombreux prêtres ayant des tendances homosexuelles mais qui sont parvenus à les “sublimer” avec l’aide de la grâce de Dieu ont produit des fruits de sainteté inimaginables, dont l’Eglise a profité, de façon qui nous échappe plus ou moins. D’autres qui n’ont pas eu cette grâce se retrouvent peut-être dans des situations très difficiles de double vie s’ils ne vivent pas la continence, comme des prêtres hétéros peuvent aussi être dans une double vie, d’ailleurs.
Sur le principe d’accepter des séminaristes homosexuels, l’Eglise demande un fort discernement et exige, depuis 2005, que l’on décourage ceux qui ont des tendances fortement enracinées. L’idée est que le célibat doit symboliser un authentique renoncement : le renoncement à une épouse et des enfants, renoncement qui ouvre la voie à une authentique paternité spirituelle, et une profonde conjugalité avec l’Eglise, à travers l’identification totale à Jésus, époux de l’Eglise. Celui qui devient prêtre avec des tendances homosexuelles ne vit pas radicalement ce renoncement puisqu’il n’aurait pas pu fonder une famille avec une femme, en toute honnêteté. (Excluons ici le cas de la bisexualité !)
L’autre vérité est que, dans certains pays, ou certains séminaires, il y a eu une sorte de sous-culture gay qui a franchement fait fuir des garçons hétéros. D’où la directive du Vatican pour endiguer ce phénomène.
L’autre argument plus délicat, est que les scandales de “pédophilie” – je mets des guillemets ! – ont montré que les prêtres coupables d’abus sur mineurs étaient, en grande majorité, des prêtres ayant jeté leur dévolu sur des adolescents post-pubères; les cas d’abus d’enfants très jeunes étant minoritaires. En toute rigueur de termes, il s’agit d’une forme d’homosexualité que l’on appelle éphébophilie. Cela a forcément joué pour interdire l’accès aux homosexuels en général, et on peut regretter cet amalgame. Il n’en demeure pas moins que le Vatican a laissé la porte ouverte pour les jeunes hommes encore pas totalement “latéralisés” et qui veulent (et peuvent) se défaire des tendances homosexuelles faiblement enracinées en eux même si cette distinction avec les tendances fortement enracinées peut relever d’une forme de naïveté ou de déni de la part de l’institution ecclésiale, car je ne sais pas comment on peut sérieusement faire la différence. Cependant, raisonner en termes de discrimination n’a guère de sens. On n’a jamais le “droit” de devenir prêtre. Même si, je le concède, cette interdiction sous-entend que les prêtres homosexuels auraient moins de capacité à respecter leur voeu de célibat que les hétérosexuels, ce qui reste à prouver et peut apparaître injuste.
Pourquoi, d’après vous, certains prêtres quittent-ils le sacerdoce pour rejoindre quelqu’un, comme c’est le cas d’un des « conseillers religieux » de la série ?
Je ne connais pas cet homme et il est difficile de généraliser sur des cas très délicats. Il se peut que certains prêtres quittent le sacerdoce parce qu’ils se rendent compte qu’ils ne sont pas fait pour vivre seul, sans la tendresse d’une femme et sans activité génitale régulière. Certains le réalisent très vite, et alors on peut affirmer que le célibat n’est pas fait pour eux, tout en ajoutant que c’est aberrant qu’ils aient dû attendre d’être ordonnés pour s’en rendre compte, après sept ans de vie comme célibataire ! Mais je crois que ce cas est rare. Le plus souvent, le prêtre quitte le sacerdoce – ou se met secrètement en couple – après de nombreuses années heureuses de ministère comme célibataire… A mon avis, ce qui est en cause n’est pas le célibat mais la lassitude du prêtre face à son épouse symbolique, l’Eglise. A un moment, il est “déçu” au sens fort du terme (par son évêque, ses collègues, ses paroissiens), et il trouve une porte de sortie dans le fait de tomber amoureux d’une femme, une vraie. C’est analogue à ce que fait l’homme marié qui quitte la femme avec qui il était heureux depuis 20 ans pour une autre. Dans ce cas, on ne penserait pas à incriminer le mariage en tant que tel. Le célibat est trop souvent désigné le coupable idéal dans les crises existentielles complexes des prêtres.
Pourquoi se priver de toute vie sexuelle semble-t-il impossible voire même dangereux, aujourd’hui ?
Je crois que c’est un faux problème. D’abord, nous ne sommes pas des bêtes. Les animaux sont contraints par leur nature à la reproduction, et ne peuvent échapper à cette contingence. Nous sommes proches des animaux par nos pulsions corporelles, car nous devons boire, manger, dormir, mais sur le domaine sexuel, nous avons la possibilité de vivre sans activité génitale par choix libre et raisonné… Il faut résister à une sorte d’idéologie contemporaine qui affirme qu’un homme est anormal s’il choisit librement la continence.
Ce qui est dangereux et impossible, c’est de vivre hors de toute activité affective riche et équilibrée ! Des gens peuvent être horriblement malheureux dans des relations conjugales tyranniques et instables, même s’ils ont quand même une vie sexuelle. Des religieux, des religieuses et des prêtres peuvent au contraire avoir une vie affective très heureuse dans leur communauté et dans leurs relations aux autres. L’un de mes amis vient d’entrer dans une abbaye et je suis frappé par l’intensité de la vie relationnelle qui existe entre les quatre murs d’un monastère – notamment la gestion des frustrations et du pardon…Cela peut être aussi épanouissant qu’une vie “sexuelle” conjugale.
Même s’ils ne sont pas dans une activité génitale, les célibataires pour Dieu existent en tant que personnes sexuées : ce sont des hommes et des femmes. On ne jamais faire abstraction de cela. Quant à vivre sans activité génitale, ce n’est effectivement pas donné à tout le monde, mais la grâce de Dieu donne parfois ce don. C’est un mystère qui nous échappe.

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