Le fil rouge d’Ainsi soient-ils est la sexualité des prêtres. Selon les scénaristes, les prêtres doivent pouvoir se marier – ils seraient ainsi moins tentés par certaines dérives comme la pédophilie ! (dont il est question en saison 3). Nous avons interrogé Jean Mercier, journaliste à La Vie et auteur d’un livre de référence paru sur le sujet.
Ainsi soient-ils.com : Les prêtres demandent-ils à pouvoir se marier ?
Jean Mercier : Non, pas que je sache.
C’est une revendication qui a existé lors d’un créneau historique assez
limité, dans la foulée de la révolution sexuelle de 1968, lorsque des
prêtres ont officiellement demandé une évolution de la règle du célibat.
Par contre, il y a effectivement un débat sur l’ordination d’hommes
mariés, mais c’est une autre problématique.
A quand remonte le célibat des clercs ?
C’est une affaire longue et complexe. Il
faut distinguer entre célibat et continence sexuelle. L’Eglise a
ordonné des hommes mariés pendant le premier millénaire, mais on oublie
souvent qu’elle leur imposait la continence avec leur épouse, à partir
du diaconat, et donc aussi pour la prêtrise et l’épiscopat. On sait cela
à partir de sources historiques dont la plus ancienne remonte au début
du quatrième siècle, et il ne semble pas que cette contrainte de la
continence ait suscité des conflits théologiques, contrairement aux
déchirements qu’on avait à l’époque sur la nature du Christ, par
exemple. La raison était qu’on considérait incompatible le sacerdoce et
l’état d’activité sexuelle, et non pas le mariage. Vers la fin du VIIe
siècle, l’Orient chrétien a modifié cette règle en permettant aux
diacres et prêtres de faire l’amour avec leur femme, et en imposant que
l’épiscopat soit réservé aux célibataires. L’Occident a gardé sa règle :
diacres, prêtres et évêques marié, mais sans sexe ! Au XIe siècle,
cette pratique était devenue intenable, et l’Eglise se retrouvait avec
des clercs mariés ordonnés sous la pression des puissances féodales,
pour des intérêts très mondains. Le pape Grégoire VII a voulu purifier
l’Eglise en imposant le célibat obligatoire, et en a fini avec
l’ordination de clercs mariés. Dans l’Eglise catholique latine, on peut
donc affirmer que tous les prêtres ont été astreints à la continence,
pendant 2000 ans. Même s’ils ont pu être mariés, mais pas tous !,
jusqu’à la réforme grégorienne du XIe siècle.
Pourtant, aujourd’hui, certains prêtres catholiques sont mariés ?
Tout a changé avec Pie XII.
Il a permis l’ordination d’un ancien pasteur luthérien comme prêtre
catholique, mais apparemment sans lui imposer la continence. Puis le
Concile Vatican II, en 1965, a reconnu l’existence des prêtres mariés
dans les Eglises catholiques orientales, et a rétabli le diaconat
permanent en permettant tacitement aux diacres de continuer de faire
l’amour avec leur femme. Cette transgression là est passée totalement
inaperçue : car en tant que clercs, les diacres mariés de jadis étaient
astreints à la continence. On peut même se demander si Paul VI s’est
vraiment rendu compte de ce qu’il faisait… Plus tard, Jean Paul II et
Joseph Ratzinger ont ordonné prêtres des centaines d’anciens ministres
anglicans ou protestants qui étaient mariés sans leur interdire
nommément l’activité sexuelle, sur un mode dérogatoire. On est donc
désormais dans une situation un peu hybride.
Quels seraient les avantages et les inconvénients d’avoir des prêtres mariés ?
L’avantage, si l’on pouvait ordonner des
hommes mariés, serait d’élargir la base du recrutement des futurs
prêtres, et donc d’inclure des hommes qui seraient intéressés par le
job, mais que le célibat rebute. Et donc, par conséquence de réduire la
pénurie des prêtres. C’est apparemment une évidence, mais elle mérite
d’être mise en question. En effet, on peut considérer que le célibat est
l’arbre qui cache la forêt. De nombreux prêtres disent que le plus dur
pour eux n’est pas le célibat, mais l’obéissance à leur évêque, et les
contraintes du métier (stress, baisse de la foi, Dieu considéré comme la
variable d’ajustement dans notre société de consommation). Le fait que
le métier de prêtre soit socialement très dévalorisé joue aussi dans le
manque de vocations.
Il n’est donc pas sûr que l’ouverture de la vocation aux hommes
mariés créerait un appel d’air… Elle risquerait surtout de déstabiliser
la figure du prêtre pour les catholiques, car il serait très difficile
de former deux types de prêtres au séminaire (ayant choisi de rester
célibataires + hommes mariés ou voulant se marier avant leur
ordination), selon deux “spiritualités” très différentes, de sorte que
les séminaires devraient s’adapter à deux publics distincts.Ensuite, il faudrait gérer les contraintes financières liées aux prêtres mariés, pour l’entretien de leurs familles. J’ai interrogés de nombreux prêtres dans ce cas. Il disent que le métier de leur épouse est le facteur clé et limite leur mobilité en cas de changement de poste. Sans oublier les divorces et séparations qu’il faudrait gérer, comme on le voit chez les pasteurs protestants. Bref, il y a autant, sinon plus, d’inconvénients que d’avantages. Quant à dire qu’un prêtre marié comprendrait mieux les gens mariés, l’argument est faible : il pourrait “plaquer” son expérience conjugale et familiale sur les gens qui se confient à lui.
Dans Ainsi soient-ils, deux des
cinq principaux séminaristes sont des personnes homosexuelles (dans la
saison 1 et 2, par la suite l’un des deux devient prêtre). Il leur est
rappelé qu’ils ne peuvent pas devenir prêtres. Que pensez-vous de cette
interdiction, n’est-ce pas une discrimination ?
C’est une question complexe. Je crois
que de nombreux prêtres ayant des tendances homosexuelles mais qui sont
parvenus à les “sublimer” avec l’aide de la grâce de Dieu ont produit
des fruits de sainteté inimaginables, dont l’Eglise a profité, de façon
qui nous échappe plus ou moins. D’autres qui n’ont pas eu cette grâce se
retrouvent peut-être dans des situations très difficiles de double vie
s’ils ne vivent pas la continence, comme des prêtres hétéros peuvent
aussi être dans une double vie, d’ailleurs.
Sur le principe d’accepter des
séminaristes homosexuels, l’Eglise demande un fort discernement et
exige, depuis 2005, que l’on décourage ceux qui ont des tendances
fortement enracinées. L’idée est que le célibat doit symboliser un
authentique renoncement : le renoncement à une épouse et des enfants,
renoncement qui ouvre la voie à une authentique paternité spirituelle,
et une profonde conjugalité avec l’Eglise, à travers l’identification
totale à Jésus, époux de l’Eglise. Celui qui devient prêtre avec des
tendances homosexuelles ne vit pas radicalement ce renoncement puisqu’il
n’aurait pas pu fonder une famille avec une femme, en toute honnêteté.
(Excluons ici le cas de la bisexualité !)
L’autre vérité est que, dans certains
pays, ou certains séminaires, il y a eu une sorte de sous-culture gay
qui a franchement fait fuir des garçons hétéros. D’où la directive du
Vatican pour endiguer ce phénomène.
L’autre argument plus délicat, est que
les scandales de “pédophilie” – je mets des guillemets ! – ont montré
que les prêtres coupables d’abus sur mineurs étaient, en grande
majorité, des prêtres ayant jeté leur dévolu sur des adolescents
post-pubères; les cas d’abus d’enfants très jeunes étant minoritaires.
En toute rigueur de termes, il s’agit d’une forme d’homosexualité que
l’on appelle éphébophilie. Cela a forcément joué pour interdire l’accès
aux homosexuels en général, et on peut regretter cet amalgame. Il n’en
demeure pas moins que le Vatican a laissé la porte ouverte pour les
jeunes hommes encore pas totalement “latéralisés” et qui veulent (et
peuvent) se défaire des tendances homosexuelles faiblement enracinées en
eux même si cette distinction avec les tendances fortement enracinées
peut relever d’une forme de naïveté ou de déni de la part de
l’institution ecclésiale, car je ne sais pas comment on peut
sérieusement faire la différence. Cependant, raisonner en termes de
discrimination n’a guère de sens. On n’a jamais le “droit” de devenir
prêtre. Même si, je le concède, cette interdiction sous-entend que les
prêtres homosexuels auraient moins de capacité à respecter leur voeu de
célibat que les hétérosexuels, ce qui reste à prouver et peut apparaître
injuste.
Pourquoi, d’après vous, certains
prêtres quittent-ils le sacerdoce pour rejoindre quelqu’un, comme c’est
le cas d’un des « conseillers religieux » de la série ?
Je ne connais pas cet homme et il est
difficile de généraliser sur des cas très délicats. Il se peut que
certains prêtres quittent le sacerdoce parce qu’ils se rendent compte
qu’ils ne sont pas fait pour vivre seul, sans la tendresse d’une femme
et sans activité génitale régulière. Certains le réalisent très vite, et
alors on peut affirmer que le célibat n’est pas fait pour eux, tout en
ajoutant que c’est aberrant qu’ils aient dû attendre d’être ordonnés
pour s’en rendre compte, après sept ans de vie comme célibataire ! Mais
je crois que ce cas est rare. Le plus souvent, le prêtre quitte le
sacerdoce – ou se met secrètement en couple – après de nombreuses années
heureuses de ministère comme célibataire… A mon avis, ce qui est en
cause n’est pas le célibat mais la lassitude du prêtre face à son épouse
symbolique, l’Eglise. A un moment, il est “déçu” au sens fort du terme
(par son évêque, ses collègues, ses paroissiens), et il trouve une porte
de sortie dans le fait de tomber amoureux d’une femme, une vraie. C’est
analogue à ce que fait l’homme marié qui quitte la femme avec qui il
était heureux depuis 20 ans pour une autre. Dans ce cas, on ne penserait
pas à incriminer le mariage en tant que tel. Le célibat est trop
souvent désigné le coupable idéal dans les crises existentielles
complexes des prêtres.
Pourquoi se priver de toute vie sexuelle semble-t-il impossible voire même dangereux, aujourd’hui ?
Je crois que c’est un faux problème.
D’abord, nous ne sommes pas des bêtes. Les animaux sont contraints par
leur nature à la reproduction, et ne peuvent échapper à cette
contingence. Nous sommes proches des animaux par nos pulsions
corporelles, car nous devons boire, manger, dormir, mais sur le domaine
sexuel, nous avons la possibilité de vivre sans activité génitale par
choix libre et raisonné… Il faut résister à une sorte d’idéologie
contemporaine qui affirme qu’un homme est anormal s’il choisit librement
la continence.
Ce qui est dangereux et impossible,
c’est de vivre hors de toute activité affective riche et équilibrée !
Des gens peuvent être horriblement malheureux dans des relations
conjugales tyranniques et instables, même s’ils ont quand même une vie
sexuelle. Des religieux, des religieuses et des prêtres peuvent au
contraire avoir une vie affective très heureuse dans leur communauté et
dans leurs relations aux autres. L’un de mes amis vient d’entrer dans
une abbaye et je suis frappé par l’intensité de la vie relationnelle qui
existe entre les quatre murs d’un monastère – notamment la gestion des
frustrations et du pardon…Cela peut être aussi épanouissant qu’une vie
“sexuelle” conjugale.
Même s’ils ne sont pas dans une activité
génitale, les célibataires pour Dieu existent en tant que personnes
sexuées : ce sont des hommes et des femmes. On ne jamais faire
abstraction de cela. Quant à vivre sans activité génitale, ce n’est
effectivement pas donné à tout le monde, mais la grâce de Dieu donne
parfois ce don. C’est un mystère qui nous échappe.
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